Il y a eu comme un problème dans la perception de l'espace et du temps.
Un clic d'obturateur a fait du présent un passé immobile alors que tout a déjà disparu.
J'ai sur mon étagère quelques pellicules argentiques non développées, qui attendent là depuis que mon premier appareil numérique m'a fait oublier le rituel photographique originel: prendre une photo et attendre.
Savoir qu'une image latente était emprisonnée, des personnes et tout leur décor embobinés, anticipation encore invisible du moment idéal, tout cela décuplait le plaisir et la frustration de photographier.
Je regarde ces bobines anonymes et refuse encore de les porter au labo pour savoir.
A l'intérieur, il y a des choses importantes ou futiles puisque je les ai prises, mais je ne suis pas prêt à les faire s'entrechoquer avec maintenant, j'ai trop tardé, alors que j'étais si impatient.
Aujourd'hui c'est fini, le temps s'est resserré, alors je prends, j'enregistre, souvent à tâtons, au jugé, pour voir, j'entasse, je compresse le temps et les images du temps, je verrai après.
Je veux redevenir un spectateur, oublier l'histoire et la réinventer, observer ce monde capturé, voyager à la limite du pixel et prendre le temps de regarder…